Âme brisée d’Akira MIZUBAYASHI : bouleversant !

Si vous ne deviez lire qu’un livre cet automne, c’est assurément celui-ci que je vous conseillerais. Il m’a émue aux larmes et je le quitte à regret. Je pense que je le relirais souvent pour m’immerger dans sa musique et ses mots délicats.

Il se lit à l’automne, avec la lumière douce qui entre par la fenêtre, avec quelques notes de violon, avec les couleurs rougeoyantes de l’automne, celle du bois d’un violon ressuscité. En compagnie des fantômes des morts qui viennent nous rendre visite en cette saison où nous les fêtons.

La vie du petit Rei, onze ans, se brise, lorsque son père, Yu Misuzawa, est arrêté par des militaires, avec les membres chinois de son quatuor à cordes à Tokyo en 1938. Ce violoniste amateur, professeur d’anglais et féru de littérature et de liberté ne reviendra jamais. Rei, caché dans l’armoire du centre culturel où le quatuor répétait, a tout vu : un militaire qui brise le violon de son père, un autre, lieutenant, mélomane, qui voit Rei dans l’armoire mais ne le dénonce pas et lui tend le violon brisé de son père …

Rei quittera le Japon et deviendra Jacques, luthier en France. Une vie consacrée aux instruments qui produisent une musique si belle, si douloureuse aussi.

Akira Mizubayashi écrit des pages magnifiques sur la musique, sur Rosamunde de Schubert interprété par le quatuor, sur Bach, sur la force qu’a la musique d’unir, d’émouvoir, au-delà des conflits et des guerres absurdes, des frontières et des langues … un langage universel, une communion. Le pouvoir également de faire affluer les souvenirs que l’on a tenté de congeler tout au fond de sa mémoire, comme le traumatisme vécu par le jeune Rei. L’émotion qui saisit, les battements de cœur qui s’accélèrent. Un violon qui sort des ténèbres et fait revivre les morts.

Une histoire bouleversante, une ode à la musique parmi les plus belles que j’ai pu lire. Mais je préfère vous laisser avec quelques extraits de ce texte sublime ! Vous verrez la musique prendre vie, prendre corps sous la plume de ce raconteur de musique exceptionnel !

Se baissant, se relevant, balançant son corps à droite et à gauche, Yu jouait les yeux fermés. Le morceau avait démarré sur un thème sautillant, jovial, épanoui, comme pour accompagner un adolescent de la ville parti en promenade à la campagne, par un matin ensoleillé, poussé par le bonheur d’exister, aiguillonné par la curiosité de découvrir la beauté du paysage environnant. A un moment donné, la musique avait changé de couleur et d’atmosphère, comme si elle traduisait l’inquiétude refoulée de l’adolescent voyant s’amonceler subitement un gros nuage noir dans le ciel, radieux quelques minutes auparavant. Mais ce n’était qu’un assombrissement passager. Peu après, le thème enjoué du début revenait. Combien de fois l’avait-on entendu, déjà, ce motif souriant, pétillant ? On sentait, dans ce retour insistant, dans ce désir de le broder indéfiniment, l’inaltérable attachement du compositeur à cette petite mélodie folâtre, comme l’affection inconditionnelle qu’on éprouve pour une chanson simple apprise dans l’enfance, palpitant au fond de soi de façon ininterrompue comme une source d’eau intarissable, prête à rejaillir à tout moment de l’âge tendre à la vieillesse avancée.

Ou encore :

Les aigus sonnaient comme une longue enfilade de gouttes d’eau pure versées par un ciel bas et tourmenté, étincelant aux premiers rayons du soleil pénétrant obliquement les feuillages verdoyants d’une forêt boréale luxuriante, tandis que les médiums et les graves étaient comme ouatés, glissant sur une étendue de velours, suscitant une impression de chaleur intime émanant d’une cheminée de marbre restée allumée toute la nuit. Il y avait là, en plus, une saisissante égalité de timbres. La musique avançait, revenait, montait, descendait avec une liberté euphorique ; elle faisait penser à une danse joyeuse et sautillante qui semblait exprimer le bonheur de marcher dans un paysage enchanté.

Les violons de Jacques le luthier :

Christophe Rubens joua de nouveau la Chaconne de Bach sur les trois violons proposés par Jacques Maillard. Il passa deux ou trois minutes sur chacun des instruments qu’il trouva tous fort beaux en raison de la limpidité cristalline et quelque peu bleuâtre des aigus aussi bien que de la profondeur nocturne et tellurique des graves. Il fut aussi frappé par une rare et remarquable égalité sonore.

Mon premier concert : plongée au cœur de la musique …

Voici un livre au sujet (une fois de plus) très original chez nobi nobi ! La musique classique et surtout les émotions ressenties par une petite fille lors de son premier concert.

La petite Mimi a six ans et un papa chef d’orchestre. Elle baigne donc dans la musique depuis sa naissance, car son papa aime jouer des morceaux avec deux flûtes en même temps, ou chanter avec elle dans le bain. Il sait imiter tout un tas d’instrument, pour le plus grand plaisir de la petite fille. (L’occasion de présenter au jeune lecteur tous les instruments qui composent l’orchestre, présentés sur une grande double page, une bonne occasion de les lui montrer et de lui expliquer le son de chacun).

Pour ce premier concert, Mimi va aller écouter la neuvième symphonie de Beethoven. Son papa lit tout le temps la partition pour préparer le concert. Il lui explique que c’est une symphonie pleine d’énergie. Il lui raconte la magie qui opère lorsque l’orchestre ne fait plus qu’un et que les spectateurs sont eux aussi à l’unisson avec la musique.

La petite fille est impatiente ! Elle a mis une robe qui gonfle quand elle tourne et un beau ruban dans ses cheveux. Mais elle a un peu peur : et si elle s’endort ? (son père lui conseille juste de ne pas ronfler !), et si son estomac gargouille ? (il suffit de manger avant d’y aller).

Son père la sert bien fort dans ses bras et part se préparer. Sa mère l’emmène ensuite. La ville est illuminée, c’est la période magique de Noël. Mimi a un beau manteau, un bonnet bien chaud, et même un petit sac à main comme maman. Toutes les deux sont très élégantes !

Mimi, arrivée dans le hall de la salle de concert, tend fièrement son billet et prend un programme. Une ouvreuse la guide dans la grande salle. Celle-ci est vaste et le plafond est très haut. La scène est immense. La fillette est impressionnée. Elle s’installe à côté d’une dame très gentille. Elle se tient bien droite sur sa chaise. Les chanteurs et les musiciens entrent sur scène, puis son papa arrive sous les applaudissements.

Dans les pages suivantes, les mouvements de la symphonie se succèdent et l’orchestre s’efface pour laisser place à des tourbillons graphiques représentant les émotions ressenties par la fillette. Un trait fin ondule, puis des taches de couleur apparaissent. Le rouge puissant des timbales, la mélodie aux notes puissantes puis douces puis rigolotes, pointues ou tonitruantes. Papa « cueille » les notes pour composer la musique qu’il souhaite. Les violons du deuxième mouvement sont comme des plantes qui invitent à la danse, Mimi s’envole, danse, tourne. Le troisième mouvement est doux et caressant, il enveloppe la petite fille, qui ferme les yeux, subjuguée. C’est comme si elle volait dans un ciel étoilé. Puis au quatrième mouvement, elle reconnaît le morceau que son père lui chante dans le bain. Les instruments arrivent comme des gouttes qui tombent pour former une mélodie. C’est enfin l’Hymne à la joie qui se répand puissamment dans le public, Mimi frissonne, sa voisine chantonne, un monsieur se balance en rythme. Un moment très fort représenté par d’immenses bandes colorées qui occupent toute la page au-dessus des chanteurs. Un vrai feu d’artifice !

Puis la salle applaudit, Mimi est debout elle aussi et applaudit de toutes ses forces. Les spectateurs se sourient, se serrent les uns contre les autres, se parlent.

Mimi, dans la nuit étoilée, dit à sa mère que c’était la soirée la plus magnifique de toute sa vie !

Des pages lumineuses, joyeuses, une mise en dessins des émotions de la petite fille qui invite le lecteur à se laisser porter, à s’émerveiller … Et pourquoi ne pas lui faire écouter ensuite la neuvième symphonie de Beethoven ? Il aura certainement une écoute attentive, différente, et peut-être envie de mettre en mots ou en couleurs ce qu’il aura pu ressentir !

Ensuite, il vous demandera peut-être de l’emmener au concert … N’hésitez pas, c’est une expérience unique dont il se souviendra longtemps !

Gôzô Yoshimasu était au Centre Pompidou Metz, et c’était impressionnant !

Je vous ai déjà parlé de ce grand poète japonais à travers deux de ses œuvres : Ex-voto, a thousand steps and more et Draps d’Ishikari. Lorsque j’ai appris qu’il faisait une performance au Centre Pompidou de Metz (qui a une spectaculaire programmation japonaise !), j’ai tout de suite voulu voir et écouter ce maître que j’admire. Une occasion unique de rencontrer un magicien habité par des esprits, hanté par leurs voix, jouant avec les sons, les rythmes comme un chaman !

Grâce à une invitation de la Maison de la culture du Japon à Paris, bravant la neige et les bouchons, j’arrivai au Centre très excitée et intimidée.

La salle s’est remplie rapidement, et plus de cent personnes étaient là pour écouter, voir, sentir, vibrer !

Je pense que chaque spectateur a vécu une expérience qui lui est propre, et c’est donc la mienne que je vais tenter de mettre ici en mots.

Gôzô est arrivé sur scène, ses accessoires ou plutôt ses objets, ses grigris, son « tokonoma vagabond » étaient en place autour d’ un long rouleau (étalé, qui n’est pas sans rappeler les rouleaux des Dits anciens) où ses textes, ses mots s’étalaient en miniature sur des colonnes étroites et bien droites, des toiles de peintres en miniature (Goya entre autres) y étaient intégrées, le tout parsemé de taches d’encre déposées là … par qui, comment ? Je le saurais bien assez vite en regardant Gôzô s’y pencher.

Après un rituel d’installation minutieux (minuscules micros installés pour sentir et transmettre le moindre petit son, papier de soie sur la bouche, fil tombant de sa bouche, avec deux éléments suspendus dont le tintement délicat envoûte et apaise), Gôzô commence sa création : un bandeau sur les yeux, il verse de l’encre noire sur le long papier évoqué plus haut, le bruit des gouttes, des flaques, rappelle celui de l’eau qui tombe de façon irrégulière d’un robinet ou d’une gouttière.

Puis il prend un marteau, frappe le livre, les mots vont-ils s’emplir de la force de ces coups ? Il passe de délicates lunettes rondes (j’ai toujours été fascinée par les lunettes rondes des grands écrivains japonais), commence la lecture-cris, la lecture-battements grâce aux talentueux musiciens du groupe Kukangendai qui l’accompagnent. Mais peut-on parler d’accompagnement, je pense que cela va bien au-delà, c’est une fusion mots-musique, à tel point qu’on ne sait plus qui parle, qui chante, qui frappe sur la batterie ou gratte les cordes des guitares électriques.

C’est une explosion de vie, de la vie dans toutes ses facettes : le temps qui passe avec le tic-tac de la batterie comme celui d’une horloge, le cœur qui bat mais de façon irrégulière, en syncope, la vie qui n’est pas (les enfants qui ne sont pas nés) ou qui n’est plus (Gôzô brûle de l’encens, tape dans ses mains, une prière comme on en voit partout lorsqu’on voyage dans le Japon des lieux sacrés). Mais ces vies ne sont pas perdues, les esprits sont là, ils traversent le poète lorsqu’il pose sur sa tête cette longue lame qui les fait venir à lui. Fermer les yeux, rester immobile … Puis se pencher sur cette « broderie de feu », y tracer ce que dictent les esprits, y mettre le feu par petites franges, comme pour les faire rester.

Le langage est parfois voix ( de Gôzô, de l’un des guitaristes), le langage est parfois morse (à la batterie, à la guitare). La communication ne se limite pas aux mots. Elle est ponctuation, elle est clous que l’on frappe, elle est dessins que l’on trace.

Puis un long crescendo nous annonce que la fin est proche. Les images sur l’écran nous racontent l’eau, la neige, la roche. Le voyage s’achève, reste l’odeur de l’encens … et mon cœur qui bat fort.

Après une pause de quelques minutes où chacun peut retrouver un peu ses esprits et admirer le travail créatif, l’univers poétique des objets du poète, le groupe Kukangendai offre aux spectateurs un concert qui est pour moi une véritable ode au rythme ! Un talent rare et une coordination parfaite des trois musiciens (que l’on avait déjà pu admirer dans la performance avec Gôzô tant ils semblent fusionner en un seul corps, un seul esprit dans une transe poétique).

Les trois instruments offrent des combinaisons originales, la synchronisation est hallucinante, les blancs ne sont pas vides, le spectateur les apprécie autant que les notes répétées dans des modules à la fois simples et savants. Le changement de rythme se fait par petites touches et les sensations se transforment en images : là un train qui ralentit, là des ondes qui se rapprochent comme lorsqu’une balle rebondit sur le sol, la des silences comme lorsque je jouais à un, deux, trois soleil et qu’il fallait ensuite rester immobile …

Et enfin un rythme entêtant et des musiciens hypnotisés qui m’évoquent les derviches tourneurs.

Une maîtrise fabuleuse, un groupe impressionnant !

J’ai eu la chance ensuite, grâce à la charmante Ryoko Sekiguchi, sa « fille spirituelle », sa disciple de poésie, de pouvoir saluer ce grand homme. Un moment intense sur lequel je n’arrive pas à mettre de mots. Juste un moment hors du temps !

Une soirée mémorable, à tout jamais gravée dans mon âme éprise de poésie.

 

 

(photographie de Gôzô Yoshimasu et de Ryoko Sekiguchi – prise par Ryoko Sekiguchi)

(Pour vous faire une idée de cette expérience, vous pouvez regarder cette vidéo …)

 

Du Japon dans le magazine ELLE de cette semaine !

J’ai découvert avec plaisir dans le ELLE d’aujourd’hui des conseils de lectures pour les vacances.
Chaque personne de la brillante équipe de ELLE Livres a donné son coup de coeur. Pour Héléna Villovitch, c’est « Le Club des gourmets » de Ryoko Sekiguchi, « un mezze nippon » comme elle l’écrit, qui est à emporter pour les vacances (et elle a bien raison !).
Et dans les pages Culture, un petit coup de coeur pour Perfume, trois filles d’Hiroshima qui donneront un concert (déjà complet) au Bataclan le 7 juillet.

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