Les onze nouvelles présentées dans ce recueil que les éditions Picquier ont l’a bonne idée de publier à nouveau et en format poche ont été écrites entre 1910 et 1926, soit à peu près pendant l’ère Taishô (1912-1926), première époque de maturité du roman japonais moderne.
L’introduction permet de comprendre cette période cruciale. Si certains arts pouvaient souffrir à cette époque d’un clivage traditionalistes/modernes, ce n’est pas le cas de la prose qui parvient à éviter ce scindement. Elle offre un mélange d’influences occidentales, de réalité japonaise avec un côté traditionnel, mais surtout elle dépeint un monde effervescent entre enseignements séculaires, exigences de la modernisation, idéaux de la voie du guerrier et même conceptions bouddhiques. L’écrivain peine à y trouver sa place, « se débat dans un réseau familial qu’il ne supporte plus, dans une société d’affairistes et de bureaucrates, sous un régime autoritaire toujours prêt à le censurer ».
Le recueil de nouvelles permet de découvrir toutes les facettes de ce monde en mouvement, avec entre autres courants le naturalisme japonais et le shi-shôsetsu (roman à la première personne dans lequel l’auteur évoque sa vie, ses problèmes, un peu comme une confession).
Le format de la nouvelle est une des formes favorites des écrivains japonais et tous les grands noms de la littérature de cette époque s’y sont adonnés. Vous retrouverez ainsi Nagai Kafû, Edogawa Ranpo, Akutagawa Ryûnosuke et Tanizaki Jun.ichirô entre autres !
Le choix des nouvelles est très intéressant et chacun trouvera son bonheur : fantastique, historique, autobiographique, naturaliste … de quoi éveiller la curiosité pour certains auteurs, admirer l’imagination d’autres … et passer un bon moment de lecture !
De l’histoire de la mouche du coche de Yokomitsu Riichi à un homme passionné jusqu’à la folie par les miroirs de Edogawa Ranpo, en passant par les feux d’artifice qui font renaître les souvenirs de Nagai Kafû ou l’histoire terriblement banale d’une jeune fille qui se prostitue pour survivre de Hayama Yoshiki … les univers et les styles de chacun de ces écrivains éveillent tout un tas de sentiments différents et donnent envie de se plonger encore plus dans la lecture de ces écrivains du début du XXème siècle.
La description d’une femme dans une pâtisserie par Izumi Kyôka :
» Sa taille élancée semblait d’autant plus svelte qu’elle avait soigneusement arrangé son kimono; Le haori et le kimono étaient en soie d’Oshima, à petits carreaux sombres. La cordelette du haori, nouée assez serré, dissimulait délicatement la rondeur de ses seins … L’encolure dessinait une ligne très pure. La fente des manche, tournée vers l’intérieur comme dans le costume des poupées, laissait à peine entrevoir le rouge vif du sous-kimono. Le col neuf, sans doute en mousseline de laine, à motifs de fleurs sur fond mauve, croisait très haut, ce qui lui donnait ce port fragile et même mélancolique, particulier aux femmes nées dans les neiges. »
La beauté de la rivière (où un homme attend une femme qui ne vient pas) par Akutagawa Ryûnosuke :
« Dans le lit de la rivière, des roseaux verts se serraient en une masse impénétrable. Et, trouant cette masse, des saules arrondissaient çà et là leur épaisse chevelure. Aussi, les eaux qui s’y faufilaient paraissaient-elles perdues au milieu du lit de la rivière. Seul un ruban d’eau limpide recueillait le reflet micacé d’un nuage solitaire, serpentait sans bruit entre les roseaux. Mais la femme ne vient toujours pas. »
Il faut souligner les excellentes traductions du groupe de traducteurs Kirin constitué à l’Université de Jussieu Paris VII qui a permis la naissance de cette anthologie parue en 1986, année de la création de la maison d’édition.