Gôzô Yoshimasu était au Centre Pompidou Metz, et c’était impressionnant !

Je vous ai déjà parlé de ce grand poète japonais à travers deux de ses œuvres : Ex-voto, a thousand steps and more et Draps d’Ishikari. Lorsque j’ai appris qu’il faisait une performance au Centre Pompidou de Metz (qui a une spectaculaire programmation japonaise !), j’ai tout de suite voulu voir et écouter ce maître que j’admire. Une occasion unique de rencontrer un magicien habité par des esprits, hanté par leurs voix, jouant avec les sons, les rythmes comme un chaman !

Grâce à une invitation de la Maison de la culture du Japon à Paris, bravant la neige et les bouchons, j’arrivai au Centre très excitée et intimidée.

La salle s’est remplie rapidement, et plus de cent personnes étaient là pour écouter, voir, sentir, vibrer !

Je pense que chaque spectateur a vécu une expérience qui lui est propre, et c’est donc la mienne que je vais tenter de mettre ici en mots.

Gôzô est arrivé sur scène, ses accessoires ou plutôt ses objets, ses grigris, son « tokonoma vagabond » étaient en place autour d’ un long rouleau (étalé, qui n’est pas sans rappeler les rouleaux des Dits anciens) où ses textes, ses mots s’étalaient en miniature sur des colonnes étroites et bien droites, des toiles de peintres en miniature (Goya entre autres) y étaient intégrées, le tout parsemé de taches d’encre déposées là … par qui, comment ? Je le saurais bien assez vite en regardant Gôzô s’y pencher.

Après un rituel d’installation minutieux (minuscules micros installés pour sentir et transmettre le moindre petit son, papier de soie sur la bouche, fil tombant de sa bouche, avec deux éléments suspendus dont le tintement délicat envoûte et apaise), Gôzô commence sa création : un bandeau sur les yeux, il verse de l’encre noire sur le long papier évoqué plus haut, le bruit des gouttes, des flaques, rappelle celui de l’eau qui tombe de façon irrégulière d’un robinet ou d’une gouttière.

Puis il prend un marteau, frappe le livre, les mots vont-ils s’emplir de la force de ces coups ? Il passe de délicates lunettes rondes (j’ai toujours été fascinée par les lunettes rondes des grands écrivains japonais), commence la lecture-cris, la lecture-battements grâce aux talentueux musiciens du groupe Kukangendai qui l’accompagnent. Mais peut-on parler d’accompagnement, je pense que cela va bien au-delà, c’est une fusion mots-musique, à tel point qu’on ne sait plus qui parle, qui chante, qui frappe sur la batterie ou gratte les cordes des guitares électriques.

C’est une explosion de vie, de la vie dans toutes ses facettes : le temps qui passe avec le tic-tac de la batterie comme celui d’une horloge, le cœur qui bat mais de façon irrégulière, en syncope, la vie qui n’est pas (les enfants qui ne sont pas nés) ou qui n’est plus (Gôzô brûle de l’encens, tape dans ses mains, une prière comme on en voit partout lorsqu’on voyage dans le Japon des lieux sacrés). Mais ces vies ne sont pas perdues, les esprits sont là, ils traversent le poète lorsqu’il pose sur sa tête cette longue lame qui les fait venir à lui. Fermer les yeux, rester immobile … Puis se pencher sur cette « broderie de feu », y tracer ce que dictent les esprits, y mettre le feu par petites franges, comme pour les faire rester.

Le langage est parfois voix ( de Gôzô, de l’un des guitaristes), le langage est parfois morse (à la batterie, à la guitare). La communication ne se limite pas aux mots. Elle est ponctuation, elle est clous que l’on frappe, elle est dessins que l’on trace.

Puis un long crescendo nous annonce que la fin est proche. Les images sur l’écran nous racontent l’eau, la neige, la roche. Le voyage s’achève, reste l’odeur de l’encens … et mon cœur qui bat fort.

Après une pause de quelques minutes où chacun peut retrouver un peu ses esprits et admirer le travail créatif, l’univers poétique des objets du poète, le groupe Kukangendai offre aux spectateurs un concert qui est pour moi une véritable ode au rythme ! Un talent rare et une coordination parfaite des trois musiciens (que l’on avait déjà pu admirer dans la performance avec Gôzô tant ils semblent fusionner en un seul corps, un seul esprit dans une transe poétique).

Les trois instruments offrent des combinaisons originales, la synchronisation est hallucinante, les blancs ne sont pas vides, le spectateur les apprécie autant que les notes répétées dans des modules à la fois simples et savants. Le changement de rythme se fait par petites touches et les sensations se transforment en images : là un train qui ralentit, là des ondes qui se rapprochent comme lorsqu’une balle rebondit sur le sol, la des silences comme lorsque je jouais à un, deux, trois soleil et qu’il fallait ensuite rester immobile …

Et enfin un rythme entêtant et des musiciens hypnotisés qui m’évoquent les derviches tourneurs.

Une maîtrise fabuleuse, un groupe impressionnant !

J’ai eu la chance ensuite, grâce à la charmante Ryoko Sekiguchi, sa « fille spirituelle », sa disciple de poésie, de pouvoir saluer ce grand homme. Un moment intense sur lequel je n’arrive pas à mettre de mots. Juste un moment hors du temps !

Une soirée mémorable, à tout jamais gravée dans mon âme éprise de poésie.

 

 

(photographie de Gôzô Yoshimasu et de Ryoko Sekiguchi – prise par Ryoko Sekiguchi)

(Pour vous faire une idée de cette expérience, vous pouvez regarder cette vidéo …)

 

Auteur : lirelejapon

Passionnée par le Japon et sa littérature, j'essaie à travers ce blog de vous transmettre cette passion et de vous livrer mes impressions de lecture.

2 réflexions sur « Gôzô Yoshimasu était au Centre Pompidou Metz, et c’était impressionnant ! »

    1. Merci beaucoup ! C’était en effet une expérience fascinante. La programmation du Centre pour ces evenings est vraiment originale et c’est une grande chance !

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